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Rechercher : pourquoi tant de haine

  • LES JUIFS EN PALESTINE - PAR LE MAHATMA GANDHI

    GANDHI PAIX.jpg

    Texte écrit le 26 novembre 1938
    Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier



    J'ai reçu plusieurs lettres dans lesquelles on me demande d'exposer mes vues sur la question arabo-juive en Palestine et la persécution anti-juive en Allemagne. Ce n'est pas sans quelque hésitation que je me risque à offrir mes opinions sur cette question très délicate.

    Toute ma sympathie est acquise aux Juifs. J'ai connu certains d'entre eux, d'une manière très intime, en Afrique du Sud, et certains d'entre eux sont devenus des amis pour la vie. Grâce à ces amis, j'ai pu mieux connaître la persécution à laquelle ils ont été soumis depuis la lointaine histoire. Ils ont été, en quelque sorte, les intouchables de la Chrétienté. La similarité entre le traitement que les Chrétiens leur ont infligé et celui que les Hindous infligent aux Intouchables est frappante. Un jugement de nature religieuse a été invoqué dans les deux cas pour justifier les traitements inhumains qui ont été infligés aux uns comme aux autres. A part les amitiés qu'il m'a été donné de nouer avec certains d'entre eux, ma sympathie pour les Juifs ressortit donc à des raisons de caractère universel.

    Mais ma sympathie ne me rend pas sourd aux exigences de la justice. L'appel à un foyer national pour les Juifs ne me séduit guère. La légitimité en est recherchée dans la Bible et dans la ténacité dont les Juifs ont depuis tout temps fait preuve dans la formulation de leur attachement à un retour en Palestine. Pourquoi ne pourraient-ils pas, comme les autres peuples sur Terre, faire de cette contrée leur pays où naître et où gagner sa vie ? La Palestine appartient aux Arabes de la manière dont l'Angleterre appartient aux Anglais ou la France aux Français. Il serait injuste et inhumain d'imposer (une domination par) les Juifs aux Arabes. Ce qui se passe en Palestine, de nos jours, ne saurait être justifié au nom d'un quelconque code moral de conduite. Les mandats n'ont pas d'autre justification que la dernière guerre mondiale (la Première). Ce serait à n'en pas douter un crime contre l'humanité de contraindre ces Arabes si justement fiers à ce que la Palestine soit restituée aux Juifs en tant que leur foyer national, que ce soit partiellement, ou en totalité.

    Une alternative bien plus noble serait d'insister sur un traitement équitable des Juifs où qu'ils soient nés et où qu'ils aient été élevés. Les Juifs nés en France sont Français dans l'exact sens où les Chrétiens nés en France le sont. Si les Juifs n'ont pas d'autre foyer national que la Palestine, vont-ils accepter l'idée de devoir être contraints à quitter les autres parties du monde où ils sont installés ? Ou bien voudront-ils une double patrie, où ils puissent demeurer selon leur bon plaisir ? La revendication d'un foyer national pour les Juifs ne fait qu'offrir sur un plateau une justification présentable à l'Allemagne qui expulse ses Juifs. Mais la persécution allemande des Juifs semble ne pas avoir de parallèle dans l'histoire. Les tyrans de jadis n'étaient jamais allés aussi loin dans leur folie que semble l'avoir fait Adolf Hitler. Et il continue à le faire avec un zèle religieux. N'est-il pas, en effet, en train de prôner une nouvelle religion faite d'un nationalisme militant et exclusif, au nom duquel toute inhumanité devient un acte d'humanité devant être récompensé, ici et maintenant. Le crime d'un jeune leader certes intrépide, mais non moins complètement dément, est en train d'être imposé à l'ensemble de son ethnie avec une férocité absolument incroyable. Si jamais une guerre pouvait être justifiée, au nom de l'humanité, et pour elle, une guerre contre l'Allemagne, destinée à prévenir la persécution délibérée d'une race humaine toute entière serait totalement justifiée. Mais je ne crois en aucune guerre. Discuter le pour et le contre d'une telle guerre est, par conséquent, complètement hors de propos pour moi.

    Mais s'il ne peut être question d'une guerre contre l'Allemagne, même avec l'énormité du crime commis contre les Juifs, il ne saurait être question, non plus, d'une alliance avec ce pays. Comment une alliance pourrait-elle être conclue entre une nation qui revendique la défense de la justice et de la démocratie et une nation qui est l'ennemi déclaré de l'une comme de l'autre ? Ou bien, alors, peut-être l'Angleterre est-elle en train de glisser vers une dictature armée avec tout ce que cela comporte ?

    L'Allemagne est en train de démontrer au monde entier comment la violence peut être utilisée efficacement lorsqu'elle n'est entravée par aucune hypocrisie ni aucune faiblesse se faisant passer pour de l'humanisme. Elle montre aussi à quel point sa violence est hideuse et terrible dans son horrible nudité.

    Les Juifs peuvent-ils résister à cette persécution planifiée et éhontée ? Ont-ils un moyen de préserver leur dignité, et de ne pas tomber dans le désespoir et l'abandon d'eux-mêmes ? Je fais le pari que c'est possible. Nul être humain croyant en un Dieu vivant ne doit se sentir impuissant ou abandonné.
    Jéhovah, le Dieu des Juifs, est un Dieu plus personnel que celui des Chrétiens, des Musulmans ou des Hindous, bien qu'il s'agisse, en fait, par essence, du Dieu commun à tous ces croyants, c'est leur Dieu unique, sans associé et échappant à toute description. Mais comme les Juifs attribuent à Dieu une personnalité et croient qu'Il commande chacun de leurs actes, ils ne devraient pas se sentir impuissants. Si j'étais juif et né en Allemagne, si j'y gagnais ma vie, je proclamerais que l'Allemagne est mon pays, autant qu'elle peut être le pays de l'aryen gentil le plus baraqué, et je le défierais de me tuer ou de m'enfermer dans sa forteresse ; je refuserais d'être expulsé ou soumis à un traitement discriminatoire. Et pour ce faire, je n'attendrais pas que mes coreligionnaires juifs viennent me rejoindre dans la résistance civile, mais j'aurais la certitude qu'à la fin du compte les autres seraient amenés à suivre mon exemple…

    … Et maintenant, un mot aux Juifs de Palestine. Je suis absolument persuadé qu'ils se fourvoient. La Palestine biblique ne correspond à aucun territoire géographique. Elle est dans leurs coeurs. Mais s'ils doivent absolument considérer la Palestine de la géographie comme leur foyer national, c'est un péché inexpiable d'y pénétrer à l'ombre du canon britannique. Un acte de nature religieuse ne saurait être posé avec l'assistance des baïonnettes et des bombes. Ils ne peuvent s'installer en Palestine qu'en respect de la bonne volonté des Arabes. Ils devraient s'efforcer de se gagner le coeur des Arabes. C'est le même Dieu qui commande aux coeurs des Arabes et à ceux des Juifs… Ils trouveront le monde à leurs côtés dans leur aspiration religieuse. Il y a des centaines de manières de s'entendre avec les Arabes, pour peu qu'ils écartent résolument l'aide que leur apporte la baïonnette britannique. Telles que les choses se déroulent actuellement, ils sont co-responsables avec les Britanniques de la spoliation d'un peuple qui ne leur a jamais porté un quelconque tort.

    Je ne défends pas les excès des Arabes. J'eusse aimé qu'ils eussent adopté la non-violence dans leur résistance à ce qu'ils considèrent à juste titre comme une agression inqualifiable contre leur pays. Mais si l'on se réfère aux lois généralement admises du bien et du mal, rien ne peut être dit contre la résistance des Arabes à une injustice massive.

    Laissons les Juifs qui prétendent être le peuple élu en apporter la preuve par choix qu'ils feront de la non-violence afin de revendiquer une place sur cette terre. Tout pays est le leur, Palestine y comprise, non pas en conséquence d'une agression, mais en vertu d'un service altruiste envers leur prochain. Un ami juif m'a envoyé un livre intitulé “La contribution juive à la civilisation”, écrit par un Cecil Roth. Ce livre énumère tout ce que les Juifs ont apporté à la littérature, aux arts, à la musique, au théâtre, à la science, à la médecine, à l'agriculture etc… de part le monde. Avec un tel héritage, les Juifs sont fondés à refuser d'être traités comme les déchets de l'Occident, d'être méprisés ou traités avec condescendance. Ils peuvent obtenir le respect et l'attention du monde en se montrant dignes d'avoir été choisis par Dieu, au lieu de tomber dans la déchéance des brutes oubliées de Dieu. Ils peuvent ajouter à leurs contributions, innombrables et inestimables, (à l'Humanité) celle, suprême, de l'action non-violente.

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    Notes :
    Extrait de « Ma Non-Violence » par le Mahatma Gandhi, édité par Sailesh Kumar Bandopadhaya - Ahmedabad : Navajivan Publishing House – 1960

    Source :
    http://www.politiquedevie.net

  • ENTRETIEN AVEC BORIS CYRULNIK

    BORIS CYRULNIK a popularisé une théorie qui a fait de lui une star : LA RESILIENCE

    Source : http://www.lepoint.fr/actualites/2008-09-19/entretien-boris-cyrulnik-la-confession/1331/0/275007

    boris cyrulnik.jpgAprès un traumatisme, nous pourrions tous, comme notre ordinateur, «rebooter» notre disque dur. Un concept révolutionnaire qui tord le cou au déterminisme et à la fatalité. Mais qui, victime de son succès, a aussi été mal interprété, parfois caricaturé. A l’occasion de la sortie de son nouveau livre « Autobiographie d’un épouvantail », le neuropsychiatre Boris Cyrulnik remet les pendules à l’heure et, pour la première fois, évoque son propre cas.

    Le Point : C’est votre cinquième livre sur la résilience. On a envie de dire : quoi de nouveau ?

    Boris Cyrulnik : Dans mes précédents livres, j’expliquais que rien n’est inéluctable et que l’on peut guérir d’un traumatisme. Ce qui n’était pas envisageable lorsque je faisais mes études. On faisait du misérabilisme, on ne parlait alors que des dégâts du traumatisme, sans jamais s’intéresser à la manière de le réparer. Plus j’explore la résilience, plus je suis surpris par ce que je découvre. Cette fois, en voulant comprendre pourquoi la résilience ne marchait pas à tous les coups, j’ai poussé une nouvelle porte. Après un traumatisme, ce sont les récits qu’en font la famille, le quartier, la culture qui vont détruire la victime ou la sauver. C’est ce que j’appelle le déterminisme verbal.

    Le Point : Que voit Boris Cyrulnik quand il se met devant sa glace ? Que reste-t-il de «Bernard», le petit garçon juif qui se cachait des nazis ?

    Boris Cyrulnik : Le petit Bernard est un prénom derrière lequel je me suis longtemps caché. Mon histoire est devenue publique quand j’ai fait donner la médaille des justes à une dame à Bordeaux qui m’a sauvé la vie. J’avais demandé aux organisateurs que cela ne soit pas médiatisé. Quand je suis arrivé, les télés étaient là. J’ai failli faire demi-tour. Je suis lâche. C’est pourquoi je ne fais que des autobiographies à la troisième personne.

    Tout de suite après la guerre, je suis tombé dans la Bible sur l’histoire de Loth, avec de magnifiques illustrations de Gustave Doré, que je revois encore tant elles m’ont marqué. Dieu dit à Loth : «Sauve-toi, il y va de ta vie. Ne te retourne pas, surtout ne regarde pas Sodome en train de brûler, sinon tu vas te transformer en statue de sel.» J’avais 8 ans. Pour moi, c’était clair. Cela signifiait : il t’est arrivé un immense fracas pendant la guerre, regarde devant, rêve et agis ; si par malheur tu te retournes, le sel de tes larmes va te transformer en statue de sel. Tu ne pourras plus vivre. Cela a été ma stratégie de survie, comme pour tous ceux qui arrivent à déclencher un processus de résilience. J’ai pensé que je cesserais d’être un épouvantail si j’arrivais à devenir psychiatre, parce qu’alors je comprendrais tout. C’est l’accomplissement de ce rêve qui m’a fait m’en sortir. Si j’avais été parfaitement équilibré, je serais devenu ébéniste comme mon père. Ce n’est pas normal d’être psychiatre...

    Le Point : On a parfois l’impression que la résilience est la baguette magique qui va tout résoudre...

    Boris Cyrulnik : Mes détracteurs ont voulu faire du résilient un surhomme ! Etre résilient, c’est seulement retrouver le droit d’être un homme. Paradoxalement, je ne suis pas un exemple terrible de résilience. Derrière l’image médiatique se tient un homme qui essaie d’avancer et parfois cela ne va pas si bien que ça...

    Bien sûr que la résilience peut échouer. Pour certaines personnes, tout s’arrête. Elles vous disent : «Je suis prisonnier du passé, je ne m’en sors pas...» Elles sont en état de mort psychique. Elles se pensent épouvantails. Je me suis vu ainsi. C’est trop dur, je n’y arriverai pas. Je l’ai pensé par moments. On est tenté par la démission. On souffre moins quand on se laisse aller, glisser, partir... La bagarre est excitante, mais tellement douloureuse !

    Le traumatisme est un chaos qui rebat les cartes. On peut ne pas trouver la force de rejouer avec les nouvelles cartes ou au contraire s’en saisir comme d’une chance. Tout dépend de son tempérament, de ce que l’on a vécu avant le traumatisme, et puis de l’entourage et des rencontres que l’on fait après. L’intensité de la résilience va de zéro à presque l’infini. Certaines personnes font du traumatisme le sens de leur vie. Elles métamorphosent leurs blessures en engagement idéologique, scientifique ou littéraire.

    En fait, rien n’est joué d’avance. J’aurais pu échouer si cela avait duré trop longtemps. Si j’avais été trop souvent découragé ou si j’avais connu trop d’échecs. Au lieu de cela, j’ai eu la chance de rencontrer des tuteurs de résilience, que je ne reconnaîtrais même pas dans la rue. Cette institutrice qui m’a inscrit à l’examen d’entrée au lycée. Ce prof qui m’a incité à passer le concours général de français, puis cet autre qui m’a poussé à faire Sciences po. Ils m’ont permis d’aller de l’avant, sans me retourner.

    Après une profonde blessure psychologique, il faut respecter une période pendant laquelle le traumatisé nie ce qui lui est arrivé. On ne peut pas faire marcher quelqu’un qui a une jambe cassée. On lui met un plâtre, qu’il faudra à un moment enlever, comme il faut à un moment bousculer le déni. Personnellement, on m’a obligé à garder le plâtre trop longtemps. Les autres ont été les complices malgré eux de mon refus de voir la réalité, car ils ne pouvaient pas entendre mon histoire. Après la guerre, j’ai raconté comment j’avais, à 6 ans et demi, échappé à une rafle de la Gestapo en 1943. Les gens ne me croyaient pas et éclataient de rire. Il a fallu que je publie mon premier livre et que Michel Polac m’invite sur le plateau de «Droit de réponse». Après l’émission, des téléspectateurs ont téléphoné : «Est-ce que ce ne serait pas le petit Boris que j’ai aidé à s’évader de la synagogue de Bordeaux ?» C’était en 1983, j’ai enfin eu la preuve de ce que je disais.

    Le Point : Si l’on vous suit, nous sommes ce que les autres disent de nous et rien d’autre, un simple «je» de construction...

    Boris Cyrulnik : L’être humain est fabriqué par sa «culture», il se construit préverbalement par les interactions affectives et par les récits des autres sur lui. Le film qu’il se fait de lui-son âme-n’est rempli que de ce que les autres y mettent. Et le sens qu’il attribue à sa vie dépend de l’interprétation qu’en fait son entourage. L’assistante sociale, l’avocat ou le juge qui dit d’un enfant : «Après ce qu’il a vécu, comment voulez-vous qu’il s’en sorte ?» maltraitent encore plus celui qu’ils sont censés protéger.

    Si j’ai accepté d’occulter mon passé, c’est pour ne pas être étiqueté «victime» - c’est la tunique d’infamie. J’ai refusé ce que la culture me proposait, faire une carrière de victime : il est blessé, il est foutu, on va lui donner une pension et qu’il se taise.

    Le Point : Vous citez la honte ressentie par les survivants d’Hiroshima ou les rescapés des camps de concentration. Comment peut-on survivre alors que tous les autres sont morts ?

    Boris Cyrulnik : Une victime vivante est forcément un peu coupable aux yeux des autres. Les orphelins rwandais qui vivent entre eux dans les «ménages d’orphelins» gouvernés par un grand frère ou une grande soeur ou les rescapés qui sont pris en charge en Europe ou au Québec réussissent à l’école et savent ce qu’ils veulent faire plus tard. Ils ne se sentent pas diminués, mais fiers d’avoir surmonté leur trauma. Ils s’en sortent mieux que les enfants restés au contact de parents blessés, dans une enveloppe de souffrance. Ceux-là vivent avec les morts à table. Leur bonheur est coupable.

    Pour une victime, rien n’est pire que d’être contrainte au silence. J’ai été obligé de me couper en deux : une partie socialement acceptable et une partie indicible. Je menais une existence à cloche-pied. Lorsque l’on vit dans la fable de Loth, on survit, mais on n’est pas entier. On s’est battu, on a eu des succès, mais on ne connaît pas ses racines, on n’a jamais osé regarder en face son passé, on a été condamné à mort parce que l’on était tsigane ou juif sans savoir ce que c’est d’être tsigane ou juif, on ne connaît pas sa religion. On traîne derrière soi une ombre immense. Les récits sont le moyen de nous réconcilier avec notre propre histoire.

    Cette jeune femme dont je parle dans mon livre, à qui l’on annonce brutalement : «Ta mère est une pute qui est partie avec un boche», reçoit un coup terrible. Une blessure qu’elle va traîner cinquante ans, jusqu’à ce qu’elle reprenne possession de son histoire en fouillant dans les archives. Elle se construit une nouvelle représentation de son passé qui modifie le regard qu’elle se porte : «J’ai eu tort d’avoir honte». Les «enfants de boche» vous disent : «Ma vie a été empoisonnée par cette ombre. Je n’ai pourtant commis aucun crime.» Et puis la culture change, on leur donne enfin le droit de parler d’eux et de leur père. Ces ex-«enfants de boche», qui ont 65 ou 75 ans aujourd’hui, me montrent des photos de leur père en uniforme de la Wehrmacht : «Vous ne trouvez pas qu’il est beau ?» C’est agréable de se sentir entier. De cesser d’avoir une partie de sa personnalité éteinte. Si la culture avait été plus encourageante, ce travail, ils auraient pu le faire à 15 ou 20 ans.

    Le Point : Une société qui veut la transparence coûte que coûte est-elle supportable pour l’individu ? N’a-t-on pas besoin de garder une part d’ombre, la «part maudite» comme l’appelait Bataille ?

    Boris Cyrulnik : Contrairement à ce qu’affirment mes détracteurs, j’ai toujours dit qu’il vaut mieux parfois ne pas dévoiler certains secrets, déguiser la vérité. D’abord parce que l’enfant se sent une personne le jour où il peut «faire secret», ne pas tout dire à sa mère. Ce jour-là, sa personnalité est constituée. Ensuite, si le secret fait de l’ombre sur la vie d’un enfant, sa révélation peut être plus terrible encore. Je raconte dans mon livre l’histoire de Pierrot, qui vénérait son père «résistant» et qui découvre dans les archives de la préfecture qu’il était un collaborateur et a fait fusiller quatorze amis d’enfance.

    Dans toutes les familles, tous les couples, il y a un secret, des raisons de se rendre malheureux. Est-ce que l’on peut dire à une fille, comme le recommandent certains psys, qu’elle est née d’un inceste ? J’ai deux patientes auxquelles les parents ont révélé ce secret. Les deux ont fait des bouffées délirantes. L’une se remet à peu près, l’autre est en hôpital psychiatrique. Si on ne leur avait pas avoué la vérité, le poids de ce secret les aurait alourdies, mais elles n’auraient sans doute pas fait de bouffées délirantes. On ne peut pas tout dire.

    Le Point : Pourquoi dites-vous que notre besoin de tout expliquer fabrique des boucs émissaires ?

    Boris Cyrulnik : Tout traumatisme est un événement insensé, et c’est l’explication de l’insensé qui redonne goût à la vie. Désigner un bouc émissaire, c’est la pensée facile. Choisir la résilience, vouloir comprendre est plus difficile. Au Moyen Age, la peste noire était la faute des juifs. En 2001, Jospin ne sait quoi répondre aux sinistrés de la Somme, persuadés que le gouvernement a détourné les eaux en crue de la Seine pour protéger les Parisiens. Une accusation absurde mais qui les a aidés.

    Aaron sait que le bouc est innocent, mais il le charge symboliquement des péchés de groupe pour ne pas avoir à sacrifier son propre fils. Quand l’aspect symbolique disparaît, l’homme enclenche des mécanismes archaïques de défense et c’est la porte ouverte à tous les délires meurtriers. La résilience ne vaut pas qu’au niveau de l’individu. Les cultures se sont construites par catastrophes successives. On part dans une direction et soudain il se passe quelque chose : la disparition des dinosaures, le trou dans la couche d’ozone... La catastrophe, ce n’est jamais le désastre. La vie reprend son cours, mais d’une autre manière. Les catastrophes font avancer les sociétés. Beaucoup de biologistes pensent même que l’évolution est une suite de catastrophes. Ils parlent de «résilience naturelle».

  • PIERRE FOLDES, L'HOMME QUI A INVENTE LA CHIRURGIE REPARATRICE DU CLITORIS

    Conférence sur l'excision (extrait) - Témoignage de Pierre Foldès à Sciences Po Paris

    Interview de Pierre Foldès par Osez Le Féminisme (OLF)
    Source : http://www.osezleclito.fr/interview-de-pierre-foldes

    OLF : Qu’est-ce qui vous a conduit à élaborer des techniques de chirurgie réparatrice des organes génitaux mutilés ?

    Pierre Foldès : En tant que chirurgien humanitaire longtemps engagé sur des opérations difficiles, sur des conflits, j’ai été interpelé par des situations dramatiques d’urgences. Peu à peu, confronté à des problèmes de fistules vésico-vaginales et d’incontinences graves, j’ai découvert que des femmes étaient victimes des crimes les plus effroyables. J’ai constaté qu’elles souffraient terriblement des conséquences de ces mutilations génitales qui étaient jusque là comme ignorées.

    OLF : Quand on parle d’excision, on pense très vite à l’Afrique subsaharienne, or il y a d’autres régions ou les mutilations sexuelles sont infligées aux toutes petites filles et aux femmes. Pouvez-vous nous en dire plus ?

    P.F. : Je suis spécialiste de l’Asie. L'Afrique de l’ouest, l'Afrique de l’est et la Corne de l’Afrique présentent en effet une prévalence importante de mutilations génitales féminines. Cependant, on trouve aussi des mutilations en Inde, en Papouasie, en Malaisie, en Amérique centrale et dans les pays d’Europe et d’Amérique du nord, du fait de la persistance de ces pratiques dans les pays d’origine et de transit des femmes migrantes qui passent par nos pays ou y trouvent durablement refuge.

    OLF : A quoi ressemble le clitoris ?

    P.F. : Pendant longtemps, on ne connaissait pas le clitoris alors qu’on savait détailler les moindres détails de l’anatomie humaine. Le clitoris mesure entre 11 et 15 cm environ, or il est en grande partie enfoui. Il est formé de plusieurs parties : la partie principale, les corps, ancrés sur l’os du bassin. Ces corps se rejoignent en haut pour former un virage qu’on appelle genou clitoridien. Le genou se prolonge vers une extrémité visible qui est le gland du clitoris. On a longtemps cru que le clitoris se réduisait à ce gland lui-même parfois à peine visible. Le clitoris est donc quelque chose de grand, de déployé dans le périnée féminin. A l’intérieur de cette première arche existe une seconde arche, les bulbes, en forme de fer à cheval, qui entourent l’entrée de la vulve. Le clitoris forme donc une double arche qui coiffe l’entrée du vagin et dont le centre de convergence se situe à l’endroit de la zone G que plein de femmes ont décrite mais à laquelle certain-e-s ne veulent pas croire. Le dilemme « clitoridienne ou vaginale ?» est complètement dépassé : la zone G perçue au niveau du vagin, c’est du clitoris ! Le clitoris est l’organe central des plaisirs des femmes pour lequel les hommes n’ont pas d’équivalent. Il n’est pas question de mettre en concurrence ni les plaisirs ni les organes, mais simplement de constater que seules les femmes ont un organe dédié au plaisir. C’est pour cela que depuis 27 siècles on a choisir de le mutiler et ou de l’ignorer.

    OLF : Il y a différents types de mutilations, dit-on. Cette classification peut donner à penser que les traumatismes seraient fonction du type d’atteinte physiologique : qu’en est-il ?

    P.F. : Les Mutilations Génitales Féminines sont des atteintes à l’intégrité du sexe féminin. Il s'agit souvent d'une tentative d’ablation du clitoris dont la puissance et l’autonomie ont toujours dérangé des hommes. La forme la plus connue est l’excision : une blessure plus ou moins profonde de la partie externe du clitoris, le gland. Il y a trois stades de MGF selon l’OMS mais pour ma part, je constate qu’il n’y a aucun parallélisme entre les types d’atteintes et les types de traumas. Il y a des formes très graves, complètes et profondes de mutilation en Afrique de l’est où l’on observe parfois paradoxalement une relative conservation de la sensibilité clitoridienne. Il y a en Afrique de l’ouest des formes d’excision avec de plus « petites » atteintes et où pourtant, les conditions atroces dans lesquelles on va blesser le sexe d'une ts petite fille ou de la femme vont déclencher un immense traumatisme physiologique et psychique. Malheureusement, dans 2 cas sur 3, il y a blessure plus ou moins directe des petites lèvres (lame qui dérape ou atteinte délibérée) : on arrache, on gratte, on coud les petites lèvres pour fermer le sexe, etc. Ces pratiques dites d’infibulation peuvent aller jusqu’à la fermeture complète de la vulve et cela aggrave l’excision et produit des conditions de vie sexuelle et obstétricale (grossesses invivables) dramatiques. En Somalie ou en Egypte, on creuse profond et on ferme complètement les grandes lèvres. Croissance, vie sexuelle et accouchements vont considérablement accroitre l’ampleur de toutes ces atteintes. Ainsi, ce n’est pas seulement une femme excisée qu’on rencontre, mais une femme brisée dans son sexe.

    OLF : Vous accompagnez des femmes qui ont subi des mutilations. En quoi consiste cet accompagnement ?

    P.F. : Je me suis certes fixé pour mission de réparer le clitoris, mais aussi d’essayer de restaurer le plus possible l’intégrité des corps de ces femmes et de l’idée qu’elles s’en font. Au-delà d’une opération de chirurgie, ce que veulent ces femmes, c’est une intégrité physique et un retour à une sexualité «normale», c'est-à-dire non traumatique.

    Cela nécessite un accompagnement triple : il y a l’accompagnement médical qui consiste à voir si la cicatrisation se fait bien, s’il n’y a pas de douleur résiduelle ou de complication, etc. Il y a un accompagnement sexologique pour pouvoir apprendre ce qui n’a pas pu être exploré. Et il y a un accompagnement psychologique pour toute la partie post-traumatique qui peut être extrêmement importante. J’exerce ces trois rôles, mais il est très important qu’on soit toute une équipe pluridisciplinaire à pouvoir répondre à tous ces enjeux.

    OLF : Comment fonctionne l’opération de chirurgie réparatrice du clitoris ?

    P.F. : Comme dans toute chirurgie réparatrice, il faut d’abord connaître la physiologie et l’anatomie de l’organe. On va retirer les parties lésées qui font que la cicatrice fait mal. Il faut ensuite retrouver ce qui reste de l’anatomie normale et, avec cela, reconstituer un organe fonctionnel et le plus proche possible de la normale. Les femmes demandent souvent si on va chercher autre chose, greffer des tissus : en réalité, il n’y a rien à ajouter. Il y a suffisamment de tissus pour reconstituer un clitoris normal. Il y a plus de 10 000 capteurs de plaisirs (corpuscules de Pacini et de Krause) répartis entre le gland et le genou du clitoris qui est bien enfoui et rarement touché par les exciseuses/exciseurs. Il y a également beaucoup de ces mêmes capteurs de plaisir dans le début des corps et dans tout l’organe. On peut donc dans la grande majorité des cas redonner sa puissance au clitoris.

    Une fois réparé, l’organe vit et évolue, ses interactions avec les différentes zones du cerveau aussi. Il n’y a donc aucun sens à faire comme si tout se passait dans la tête ou dans le sexe. Les deux sont indissociables : porter atteinte à la tête en désinformant ou en ignorant, ça peut faire beaucoup de mal à la capacité à sentir pleinement son clitoris, et la mutilation d’un sexe peut mutiler des pans d’une personne jusque dans son rapport au monde.

    Cette chirurgie dure à peu près ¾ d’heure et est intégralement remboursée par l’assurance maladie, dans le cadre de la Couverture Maladie Universelle et de l’AME. Je me suis battu pour que ces pathologies soient reconnues et que cette chirurgie soit remboursée, il y a sept ans.

    OLF : Vous employez souvent le terme d’"excision culturelle, intellectuelle et scientifique" pour désigner l’omerta qui pèse sur la libération des sexualités des femmes. Pourquoi insistez-vous pour employer cette expression ?

    P.F. : Quand on regarde la science médicale, le clitoris n’existe pas, il y a un organe dont on ne parle pas et c’est celui là ! Un jour, j’ai testé le moteur de recherche de l’OMS : il y avait je ne sais combien de milliers de pages sur le pénis et aucune sur le clitoris ! C’est typique ! J’espère que ça a changé !

    Le clitoris gène :il n’est pas directement utile pour la reproduction ni pour les plaisirs masculins, donc on n’en parle pas. Quand on examine les différentes motivations des excisions, on leur retrouve une base commune avec le mépris infligé par les sciences et les cultures, à savoir le contrôle des sexualités des femmes par les hommes. Voilà le fondement du crime ! Enfermer les femmes dans l'ignorance de leurs propres sexes et dans la croyance que seuls les hommes auraient un vrai sexe et de forts appétits sexuels est un dispositif efficace pour les dominer. Il y a dans les deux phénomènes une volonté plus ou moins consciente de la part de beaucoup d’hommes de contrôler et soumettre une sexualité qui leur fait peur et les dépasse. C’est le même crime, me semble-t-il, qui se décline différemment dans le rejet de la liberté sexuelle pour les femmes et dans l’excision.

    OLF : En Egypte où l’excision est très prégnante, les mutilations sexuelles infligées aux femmes sont médicalisées, faisant là aussi l’objet d’un commerce, mais cette fois non pas perpétré par des femmes pauvres, dominées et peu instruites, mais par des médecins !

    P.F. : En effet, c’est un vrai business ! Les mutilations perpétrées par ces médecins sont beaucoup plus graves. Une exciseuse traditionnelle, si elle coupe trop, met ses relations familiales en danger avec la survie de l’enfant et perd un marché. Le médecin dispose de toutes les conditions d’asepsie (instruments stériles, endroit propre) et d’anesthésie pour pouvoir mutiler en profondeur sans faire mourir la petite fille ou la femme. Ces médecins ferment les vulves et mettent à mal les missions de la médecine. La médecine n’est pas là pour aider des tortionnaires à faire tenir plus longtemps leurs victimes ni pour mutiler et tuer des gens dans leur sexe ! La médecine est là pour soigner, pas pour aider le crime.

    Pierre Foldès, en nous disant au revoir, a tenu à dire la chose suivante :
    «Il a fallu déjà toute une révolution copernicienne pour admettre que les femmes avaient un cerveau et que leur cerveau n’était pas de nature différente ni moindre que celui des hommes, alors vous et moi sommes là pour encourager les gens à admettre que les femmes ont un vrai sexe, et non pas un creux pour accueillir un pénis ou un enfant !».

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    LIENS DIVERS

    http://www.slateafrique.com/89083/pierre-foldes-chirurgie-vie-dediee-la-cause-des-femmes

    http://madame.lefigaro.fr/societe/cachez-clitoris-220211-135176

    http://www.afrik.com/article6941.html

    http://www.youtube.com/watch?v=kQS54yE1TwY

    http://www.dailymotion.com/video/xh2joi_odile-buisson_lifestyle

     

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    LIVRES

    ODILE BUISSON Auteur de Qui a peur du point G ? Le plaisir féminin, une hantise masculine, co-écrit avec Pierre Foldès (Paru le 17 février 2011. Editions J-C Gawsewitch)

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