NON-VIOLENCE
DANS UN MONDE VIOLENT
PAR DARIO ERGAS
NON-VIOLENCE DANS UN MONDE VIOLENT.pdf
No Violencia en un mundo Violento.pdf
Le thème est difficile, je demande intérieurement que l’inspiration enveloppe mes paroles et notre compréhension.
Quel est le problème : si on m’attaque, si on me vexe, si je suis le sujet d’agressions de tous types, comment puis-je m’en défendre sans la violence ? Comment puis-je freiner une force si je ne lui oppose pas en retour une force similaire ? Si un pouvoir veut m’écraser, moi ou le groupe auquel j’appartiens, et qu’en plus ce pouvoir me diffame au travers des médias, que me reste-t-il d’autre que d’arrêter cette violence d’une manière ou d’une autre ? Comment le faible peut-il affronter la violence du fort ?
Personne n’aime la violence, mais comme la violence est exercée contre soi, son utilisation est toujours justifiée. La violence pour freiner la violence a une aura de légitimité.
«La est bien tant que nous sommes entre gens civilisés, mais lorsque nous sommes face à des troglodytes, taisez-vous monsieur le non-violent et laissez-nous mettre de l’ordre dans le désordre», entendons-nous dire.
Je crois que c’est plus ou moins le thème en question : Comment être non-violent au milieu d’un monde violent. La violence n’est pas quelque chose en plus dans notre façon de vivre, dont nous pourrions nous passer de toute façon. C’est un mode d’action sociale qui vient de loin dans l’histoire humaine, c’est une réaction à la crainte et à la peur, très naturelle et très animale. La violence a des racines profondes en nous et on ne peut l’éradiquer par décret. L’organisation sociale est basée sur la violence. Violence monopolisée par les états et en dernière instance par les armées.
Quand la société entre en panique, les armées réagissent. Quand la peur s’empare d’une personne, la violence aussi s’empare d’elle. Nous pouvons dire de nous-même que nous sommes des personnes bonnes et pacifiques, mais si soudainement quelque chose met en péril ce qui est à moi, ce qui me donne ma stabilité, si quoi que ce soit entre furtivement pour me l’enlever, la violence émerge depuis les couches tectoniques de ma conscience et un singe violent me remplace, occupe mon corps et sera prêt à réagir. Si ce qui m’attaque est très puissant, alors je contiens ma violence qui, transformée en ressentiment et en haine, cherchera sa revanche. C’est là que la violence couvée culturellement attend d’être satisfaite quand l’occasion se présentera.
Existe-t-il quelqu’un parmi l’un d’entre nous, qui vivons immergé dans la société violente, qui puisse dire qu’il en est libre ? N’exerçons-nous pas de violence ? Aux origines de la , un nommé Mahavira, contemporain de Bouddha, décida d’aller jusqu’aux dernières conséquences du fait de ne pas exercer de violence. Ainsi il ne pouvait marcher, pour ne pas écraser les fourmis qu’il pourrait rencontrer sur son chemin, et ainsi après 30 ans passés à se nourrir à peine et presque sans bouger, il obtint l’illumination. Aujourd’hui même, quelques Jaïnistes héritiers des enseignements de Mahavira balaient le sol sur lequel ils passent avant d’y marcher. Pour ne pas exercer de violence au milieu d’un système violent, nous ne pourrions ni payer ni recevoir de salaire, nous ne pourrions pas payer d’impôts parce que c’est avec cet argent que les états s’arment jusqu’aux dents, etc. Nous devrions nous isoler complètement de la société et certainement qu’au lieu de nous appeler des mystiques, ils nous enfermeraient dans un asile. La violence est partout. L’exploitation, la manipulation, la discrimination, sont aussi des formes de violence qui s’accumulent chez ceux qui en souffrent jusqu’à exploser physiquement. Le taux d’intérêt financier des crédits pour la santé, l’éducation et le logement, est aussi une forme de violence. Quand arrivent les débordements sur les terrains de football, en Chine avec les ethnies religieuses ou dans l’Amazonie péruvienne, cela nous surprend, parce que nous ne voyons pas l’accumulation de ces autres formes de violence auxquelles les populations sont soumises. C’est toujours le clan opposé qui est violent, et le clan auquel j’appartiens celui qui est juste et qui a été obligé d’utiliser la violence. Ceci n’est pas facile à changer, c’est une croyance qui est bien ancrée. Nous avons l’intuition que la violence ne correspond pas à l’humain, et bien que nous soupçonnions que c’est une trace de son passé hominidé, nous ne voyons pas de possibilité d’en sortir. De plus, quelle serait la raison pour sortir de la violence ?
Vaille que vaille, l’humanité est arrivée jusqu’ici et il n’a pas été nécessaire de l’éradiquer. On a pu contrôler, diriger les pulsions violentes, on a établi un système de justice pour l’utiliser avec une certaine rationalité. Certains meurent quand la violence échappe au contrôle, mais nous devons tous mourir un jour pour une raison ou une autre. Il y aurait besoin d’un motif très puissant pour changer cette direction de la conscience.
Parfois cette couche de souffrance et de douleur qui recouvre notre vie, est traversée par des rayons qui illuminent des espaces de liberté, d’amour, d’amitié, de solidarité, de toi. Toi qui est très important, parfois, beaucoup plus que très important. Parfois un nouveau monde apparaît devant mes yeux, et je me vois moi-même et je ne me reconnais pas, il me semble que ce n’est pas moi, mais le bonheur m’envahit et ceci me conduit à penser que tout n’est pas peur, tout n’est pas souffrance, tout n’est pas violence.
Si seulement ce rayon qui me traverse parfois pouvait élargir la brèche dans la couche qui me piège et qui nous piège, si cela était possible tout serait très différent. Si cela était possible, la vie aurait un sens pour lequel nous vivrions.
Nous parlons des thèmes fondamentaux de la vie humaine. La réflexion sur la violence nous met face au non-sens de la vie, et si ma vie n’a pas de sens et si tout se termine avec la mort, il n’y aura pas d’énergie suffisante pour tenter un saut humain.
Silo, qui est très important dans la formulation actuelle de ce problème, a commencé son message en 1969 en expliquant qu’un voile de violence s’était répandu dans l’humanité et qu’il n’y avait pas de moyen de sortir de la violence. Qu’elle est dans notre propre conscience, que sa racine est la souffrance et que l’on souffre à cause de la peur de la solitude, la peur de la maladie et la peur de la mort. Que nous essayons de résoudre cette peur au moyen de nos désirs, nos illusions et espoirs, et que plus nos désirs sont disproportionnés, plus notre souffrance et notre violence augmentent. Ainsi Silo commença son enseignement et il exposa ensuite la parabole du chariot du désir, de ses roues appelées roues du plaisir et de la douleur, et d’un cheval appelé Nécessité, qui s’épuisait quand le chariot était très chargé. Au fil des années, ces phrases trouveront un ample développement dans une philosophie, une psychologie et une mystique.
La peur, le néant et la mort sont la substance de la violence, ce dont quoi elle est faite. Mais ce n’est pas la peur ce qui fonde l’humain. Ce n’est pas la mort qui lui donne une signification, mais sa nécessité d’immortalité et de transcendance.
Si l’étincelle de l’immortalité était gardée dans le fond du cœur humain, comme une braise endormie qui a besoin d’un souffle pour s’allumer, et si ce souffle soudain l’allumait et qu’elle veuille sortir de son monde lointain pour teinter le monde humain. Si ce n’était pas le cas, une action ou une autre nous seraient égales, alors que certaines actions allument le feu interne et d’autres actions l’éteignent. Si l’être humain était l’amadou où couve l’étincelle divine et que son action était la pierre qui l’allume, si ce feu était si intense qui illuminerait le monde qu’il regarde. Si tout était baigné par un feu d’essence et de sens et si cela me couvrait de la tête aux pieds, je ne voudrais jamais l’éteindre.
L’acte moral l’est parce qu’il allume l’étincelle divine à l’intérieur de l’être. La est un style de vie, une recherche du sacré, la manifestation de ce qui est véritablement humain. Ce n’est pas simplement un acte politique, c’est surtout un acte moral, c’est la recherche d’un nouvel être humain, c’est la présence du futur, c’est la rencontre avec un être qui n’est pas encore.
La Non-Violence est la force qui transformera le monde parce que je me transforme moi-même pour ne pas me convertir en ce contre quoi je lutte.
Il m’est chaque fois plus difficile d’élucider le thème, que puis-je dire qui soit sincère ? Je ne peux pas donner un cours, je ne sais pas comment j’agirais mis en situation de violence. Il ne s’agit pas non plus d’un dogme, je ne peux exiger de l’autre qu’il agisse comme bon me semble. Je peux seulement décider de ma manière d’agir. Je me sens tous les jours pressionné et obligé de choisir un camp, de prendre des positions qui ne me plaisent pas ; chaque décision, chaque action est une référence pour quelqu’un d’autre qui est proche de moi, et pour ceux qui m’observent, ma décision est importante. Je ne peux juger ce que fera l’autre, je ne suis en aucun cas sûr d’avoir raison, ni non plus de ce qui est meilleur pour les autres et pour la société. Je cherche autre chose, il y a quelque chose de plus et je souhaite que ce quelque chose de plus s’exprime dans mon action. Je ne veux pas exercer la violence, je ne veux pas faire partie des groupes qui l’exercent et j’essaie de trouver le chemin, bien que souvent je me trouve pris dans un camp. Je veux que s’exprime dans mon action quelque chose de nouveau, quelque chose de différent, les meilleurs sentiments. Je ne veux pas collaborer avec la connaissance qui mène à la destruction, je veux passer par-dessus mon ressentiment et je veux que ce soient les sentiments les plus beaux qui s’expriment quand je suis avec d’autres. Je ne veux pas imposer mes vérités, mais je veux me sentir libre de pouvoir agir en accord avec elles.
Dans la situation de pression dans laquelle je vis quotidiennement, je veux trouver la liberté intérieure qui me permette d’agir comme être humain, de reconnaître l’être humain chez les autres, et à travers mon action l’appeler, faire qu’il apparaisse, et si ce n’est pas possible de le faire apparaître dans le présent, laisser la trace d’une action qui puisse être reconnue dans le futur, une action qui dise : il est possible d’exprimer l’humain. Mais je ne peux pas choisir pour toi, comme tu ne peux pas choisir pour moi. De même que je ne peux choisir pour toi, je ne peux pas non plus te juger, mais ne me demande pas de t’accompagner, ne me demande pas de te cautionner, je ferai mon choix et je ferai le vide face au pouvoir, je m’améliorerai moi-même pour qu’il cesse de m’intéresser, je surpasserai mes désirs de pouvoir, j’apprendrai à reculer et je tenterai que mon action montre quelque chose qui n’existe pas encore, mais qui existera dans le futur. Mon action annoncera le monde à venir, l’être humain du futur.
J’entends à peine les pas de la Marche pour la Paix et la Non violence, ils sont doux, ils ne retombent pas comme des tambours de guerre, ce sont des soldats qui ne vaincront personne, mais je reconnais là l’écho de ce que je recherche, de ce dont je me souviens avec nostalgie, quelque chose pour lequel cela vaut la peine de vivre.
Merci, mes amis.
Dario Ergas
18 Juillet 2009 pour la Fondation Laura Rodriguez