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INTERNATIONAL - Page 17

  • ETRE FEMINISTE EN IRAN

    VIDEO DE L'INTERVIEW DE SHAHLA SHERKAT PAR DALILA KERCHOUCHE

    Source FigaroMadame.fr

    IRAN.jpgFondatrice du magazine Zanân, aujourd’hui interdit de publication, Shahla Sherkat a éveillé la conscience de milliers d’Iraniennes qui vivent sous le joug des mollahs. Elle retrace son combat dans un livre bouleversant. L’occasion de la suivre à Téhéran. Reportage.

    par Dalila Kerchouche

    «Dépêchez-vous ! » Tandis que ses talons aiguilles vrillent les plaques de verglas, Shahla Sherkat court dans les rues de Téhéran sans vaciller. Indifférentes aux portraits géants de l’ayatollah Khomeyni qui ornent les rues, à l’heure où l’Iran fête le trentième anniversaire de la révolution islamique, cette femme pressée a toujours un temps d’avance. Elle a fondé (en 1992) et dirigé Zanân – «Femmes» en persan –, un magazine féminin d’avant-garde, audacieux et libre, fermé en 2008 par les autorités. Mais Shahla ne renonce pas. Elle publie en France un livre bouleversant et magnifiquement illustré, Zanân, le journal de l’autre Iran, qui retrace, avec des extraits des meilleurs articles, la genèse du féminisme iranien, dont Shahla fut l’une des pionnières.

    “NOUS LUTTONS CONTRE DES TRADITIONS ARCHAÏQUES.”
    Chez les kiosquiers de Téhéran, l’austère presse officielle flirte avec des tabloïds kitsch aux couleurs criardes. À la une du magazine Zan er Ruz («La Femme d’aujourd’hui»), le visage d’une mère en tchador entourée de ses deux enfants. «C’est le premier journal pour lequel j’ai travaillé, raconte Shahla. Il est à l’image du pouvoir, qui ne voit dans les Iraniennes que des mères de famille et des épouses.» Licenciée parce que trop réformiste, Shahla lance son propre magazine au début des années 90, que deux cent mille Iraniennes dévoraient chaque mois.

    Chaque semaine, Shahla retrouve son ancienne équipe, une vingtaine de personnes. Nasreen, 30 ans, ancienne journaliste, réprime difficilement ses larmes après ses vingt-quatre heures passées à la prison d’Evin. Elle en a publié le récit dans Zanân. «J’ai été arrêtée après une manifestation pacifique, raconte-t-elle. J’ai vu des adolescentes qui croupissent des mois en cellule d’isolation parce qu’elles ont eu des relations sexuelles avec leur petit ami.» Shahla offrait aussi dans son journal une tribune aux figures féminines phares, comme Chirin Ebadi, Prix Nobel de la paix 2003. Zanân a jeté les fondements d’un féminisme iranien, non calqué sur l’Occident : «Nous avons interviewé des ayatollahs progressistes, qui prônent une relecture moderne de l’islam et l’égalité entre les hommes et les femmes.»

    “JE NE VEUX PAS METTRE MON PETIT AMI EN DANGER.”
    Au fil de ses 153 numéros, Zanân a provoqué l’essor d’une nouvelle génération de féministes nées après la révolution islamique, aujourd’hui fer de lance du combat pour les droits des femmes dans le monde musulman. Shiva, 28 ans, a lu Zanân jusqu’au dernier numéro. Dans son appartement, cette jeune femme a enlevé toutes les photos de son petit ami. « Je ne veux pas le mettre en danger », explique-t-elle pudiquement. Même si elle n’en laisse rien paraître, elle vit dans la peur. Elle joint ses amis par e-mail plutôt qu’avec son portable, mis sur écoute, et efface chaque soir tous les fichiers de son ordinateur, parce que la police secrète a fouillé plusieurs fois son appartement.
    Il y a quelques mois, lors d’une manifestation pacifiste, Shiva a été matraquée par des policières en tchador et condamnée à deux ans de prison avec sursis. Sa hiérarchie menace aujourd’hui de la licencier. Songe-telle à renoncer ? Pour toute réponse, elle agrippe d’un geste rageur le foulard qui lui couvre les cheveux : «Je ne supporte plus de porter le voile. Ni d’être considérée, dans mon pays, comme la moitié d’un homme.»

    Pour la deuxième fois cet hiver, il neige sur Téhéran. En ce mois de février glacial, un climat de terreur s’abat sur les féministes iraniennes. Fin décembre, les bureaux de Chirin Ebadi ont été fermés. Et depuis deux ans, plus de cinquante militantes ont été intimidées arrêtées, fouettées ou interdites de sortie du territoire. Mais rien n’y fait. Comme Shiva, des centaines d’Iraniennes militent pour la campagne « Un million de signatures pour la parité entre hommes et femmes », qui vient de recevoir, en France, le prix Simone-de-Beauvoir pour la liberté des femmes. Malgré le froid et la répression impitoyable, elles sillonnent chaque jour les rues de Téhéran pour faire signer la pétition…

    Soutenues par l’opinion internationale, les féministes viennent d’arracher des victoires importantes. Comme le recul des députés conservateurs qui souhaitaient rétablir la polygamie. Et une réforme de la loi sur l’héritage, qui permet désormais aux veuves d’hériter des terres de leur mari. Au volant de sa Peugeot grise, Shahla ralentit rue Ziba. Elle roule en seconde devant ses anciens bureaux vides où elle n’a plus le droit d’entrer. Un instant de tristesse imperceptible, qu’elle chasse aussitôt : «Quand le magazine a fermé, toute mon équipe pleurait. Pas moi. Je les consolais. Je suis une optimiste farouche.» Shahla espère relancer un nouveau magazine et porter encore et toujours la voix des femmes. Son sésame ? Le possible retour au pouvoir du candidat réformiste Mohammad Khatami, lors de la présidentielle du 12 juin. Avec le courage qui l’anime, cette Iranienne peut abattre des montagnes.

    «Zanân, le journal de l’autre Iran», CNRS Éditions

  • KHAZAN GUL : "TOUS LES HOMMES ET FEMMES QUI VEULENT UN MONDE SANS GUERRE SONT MES AMIS"

    Interview d’Horizons et débats avec Khazan Gul

    Khazan Gul a étudié la physique et les mathématiques à la Haute école pédagogique de Francfort. En 1973, il est rentré en Afghanistan, dans son pays dans la région de Khost. Depuis il s’engage pour le développement de l’instruction publique dans son pays et pour l’encouragement de l’autosubsistance qu’il pense être les premières conditions pour un Afghanistan libre et autonome.

    Horizons et débats : Avec nos lecteurs, nous nous intéressons à la situation actuelle en Afghanistan, pourriez-vous nous dire quelque chose à ce sujet ?

    Khazan Gul : En Afghanistan règne la guerre. La guerre, naturellement, est toujours liée à la peur. Le peuple vit perpétuellement dans la peur. Chaque jour les gens craignent que ce soit peut-être aujourd’hui que les Talibans ou les Américains viennent, car les deux sont très cruels avec le peuple.

    Si ce sont les Talibans qui viennent, ils forcent le village à mener une «Guerre Sainte» contre les Américains. Ce sont eux, les occupants, les infidèles qui détruisent notre pays et notre culture. Le peuple ne peut pas se défendre. Les autres sont forts et armées.

    Alors les gens disent, oui, d’accord, ce sont des infidèles et vous, vous êtes nos frères, vous êtes des musulmans, nous voulons bien vous aider, des amis – mais nos enfants, nos femmes, voici les dangers. Les Américains nous mettent en prison et nous bombardent, nous n’en voulons pas. Les Talibans cherchent les gens qui ont rasé leur barbe et qui n’ont pas fait leur prière comme il faut. Quand ils supposent que quelqu’un est un mauvais musulman, ils l’emmènent et le punissent.
    Et puis, il y a les espions américains. Ils rapportent aux Américains : Ce soir, beaucoup de Talibans sont venus, ce village collabore avec les Talibans. Les Américains ont naturellement peur des Talibans et bombardent ce village.
    Beaucoup de gens innocents sont par conséquent tués, et à la radio ils déclarent avoir tués tant et tant de Talibans, mais ce sont des civils, les Talibans ont quitté le village avant.

    Mais le pire est que le gouvernement compte les morts et les blessés et paye 200 dollars par mort et 100 dollars par blessé. Ceci est évidement barbare. Un Afghan mort coûte 200 dollars. Et nous savons que les USA ont demandé aux Libyens 2 millions de dollars de dédommagement par Américain mort. Karzai, lui-aussi, a déjà plusieurs fois critiqué ce fait, il a pleuré puisque également les Américains et les forces étrangères nous tuent. Nous ne pouvons rien faire, les Talibans aussi nous tuent. C’est très triste. Le peuple entier vit dans une peur permanente. Telle est la situation actuelle en Afghanistan.

    Horizons et débats : Quelles sont les possibilités pour la population de venir à bout de cette situation ? Ils y vivent, il faut vivre, comment vous débrouillez-vous ?

    Khazan Gul : Je vis aussi dans la peur comme le peuple. Nous étions heureux lorsque les Talibans sont partis, et nous pensions que les Américains étaient nos amis. Et puis, ils ont commencé à perquisitionner nos maisons et à nous bombarder sans raison. Et maintenant les Américains se font beaucoup d’ennemis tandis que les Talibans gagnent des amis. Si cela continue ainsi, c’est très grave. Nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve. Le peuple est désespéré. La situation s’empire de plus en plus.

    La politique actuelle en Europe et en Amérique doit changer. C’est le peuple qui doit le faire. Le peuple européen et le peuple américain peuvent forcer leurs gouvernements à changer de politique. En Afghanistan, il faut un gouvernement digne de confiance, qui peut gouverner de manière autonome et qui peut se défendre contre des voisins étrangers, c’est dans de telles conditions que nous pouvons avoir un Afghanistan calme, c’est-à-dire les étrangers, les Européens et les Américains doivent nous aider. Actuellement, ce sont les Afghans qui aident les étrangers et non pas vice versa. Nous voulons travailler nous-mêmes dans notre pays, les autres doivent nous aider. Nous ne voulons pas que dans notre pays quelqu’un d’autre gouverne et que nous l’aidions. Je crois que le problème est, que les étrangers travaillent de façon autonome, sans rien demander au gouvernement afghan. Ils circulent en avions et en hélicop­tères, fouillent des maisons et arrêtent les gens, sans que notre propre gouvernement afghan le sache. Je veux dire ceci : aucun Afghan ne veut d’un cœur étranger.

    Horizons et débats : Vous avez mentionné Karzai, quel rôle joue le gouvernement Karzai ?

    Khazan Gul : Ils ne font que ce que leur disent les étrangers. Moi, je les considère comme employés des étrangers.

    Horizons et débats : Le gouvernement ne peut pas poursuivre une politique autonome ?

    Khazan Gul : C’est impossible. S’il y a des forces étran­gères, des forces militaires très puissantes, qui circulent dans le pays sans rien demander au gouvernement, celui-ci ne peut pas poursuivre une politique autonome.

    Horizons et débats : Vous travaillez dans divers projets en Afghanistan et vous essayez d’améliorer la situation des gens là-bas. Pouvez-vous expliquer vos activités à nos lecteurs ?

    Khazan Gul : Je veux bien. Beaucoup de personnes travaillent en Afghanistan, mais convaincues de ne pas pouvoir réussir dans un pays occupé par des forces étrangères, ils se résignent. Je crois qu’il ne faut pas attendre. Surtout dans l’enseignement et l’instruction publique, il ne faut pas attendre parce que c’est comme une vie, quand une journée est passée, elle est passée, elle ne reviendra pas. Je trouve très important que les gens dans chaque situation, aussi difficile qu’elle soit, continuent de travailler, même sous les conditions actuelles.

    Pour moi, le développement de l’agriculture et de l’enseignement est la première condition pour la liberté et l’autonomie de l’Afghanistan. Pour moi, en tant qu’enseignant, l’éducation et la formation sont très importantes. Je travaille maintenant dans des régions que le gouvernement et d’autres évitent. J’ai travaillé là-bas déjà pendant la guerre contre l’Union soviétique. Les gens me connaissent et me comprennent. Je fais construire des écoles et je m’engage pour la progression de l’agriculture. C’est ainsi que j’ai beaucoup de succès. En Europe, je reçois de l’aide de mes amis et de différentes organisations. C’est ce que j’amène en Afghanistan dans ces régions pour construire de beaux bâtiments et pour la formation des enseignants.

    Quand j’étais responsable de l’instruction publique à Khost, j’ai fondé 52 nou­velles écoles dans les montagnes et engagé des enseignants. Ce ne sont pas d’enseignants de formation, mais des gens qui savent lire et écrire, peut-être qu’ils ont fréquenté une école pendant trois ans ou ils ont appris dans une école coranique.

    Il n’y a pas de bâtiments non plus. Les élèves apprennent dehors, sous des arbres. Je veux construire des bâtiments pour ces 52 écoles et former les enseignants. Chaque école reçoit un bon instituteur bien instruit. L’après-midi, celui-ci enseigne tous les autres instituteurs, 10 ou 20, avec les mêmes manuels que ces derniers utiliseront le matin pour enseigner les enfants. Cela fonctionne très bien. Les enseignants ont besoin d’une formation continue car les enfants posent des questions qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes. Ils sont obligés de lire les manuels avec les enfants pour voir ce qu’ils ont compris et l’après-midi ils peuvent poser des questions. Ainsi, on peut éliminer les difficultés des enseignants.

    En outre, j’essaye de procurer de l’argent pour la construction d’écoles. Jusqu’à présent, j’ai construit 5 écoles, payées par différentes écoles en Europe. C’est ce que je vais continuer. J’ai trouvé beaucoup d’amis ici en Suisse: Ils veulent financer une école d’agriculture, une école très importante. J’ai reçu de l’argent et quand je serai de retour, je commencerai la construction de cette école. Plus tard, j’engagerai des enseignants et je chercherai des paysans qui veulent suivre une formation. Ils apprendront à construire des systèmes d’irrigation, à cultiver les céréales et les légumes, à faire de meilleures récoltes ou à traiter des maladies simples des animaux et des plantes. Pour cela, il est nécessaire qu’ils apprennent à lire et à écrire, ils seront alphabétisés en même temps. Ainsi, on forme des paysans cultivés qui seront plus tard capables d’enseigner d’autres paysans.

    Horizons et débats : Combien de personnes vivent dans la région où vous travaillez ?

    Khazan Gul : C’est une tribu, les Tani. J’ai enregistré 3000 familles. Mais ces familles, ce n’est pas comme ici, ce sont de grandes familles, 10 à 30 personnes par famille. Je veux faire développer tous les domaines dans cette région. A mon avis, le fait que le fossé entre la ville et la campagne s’agrandisse de plus en plus, cause des guerres.

    Les étrangers vivent et travaillent dans les villes. C’est là où les biens de première nécessité arrivent. Les villes se développent et la campagne reste ce qu’elle est. La majorité de la population vit à la campagne, plus de 80%. Ils n’ont pas de moyens de transport, pas de routes, pas de soins médicaux, pas de cliniques, pas d’eau potable et les maisons sont primitives. Si les villes continuent de croître et que la campagne reste en arrière, cela engendra la haine et l’envie. Les gens ne se comprennent plus. Dans les villes c’est une autre culture qui se développe, une culture européenne.

    Je veux que l’Afghanistan se développe de façon homogène. C’est pourquoi j’essaye de développer cette tribu de montagne, les Tani, en quelque sorte comme exemple pour d’autres régions. Les gens dans d’autres régions peuvent faire de même s’ils veulent. Je travaille dans le territoire de cette tribu – de ma tribu parce que j’y appartiens – pour éviter de futures conflits armés et des guerres civiles.

    Horizons et débats : Existe-t-il une coopération suprarégionale avec d’autres tribus dans d’autres régions qui travaillent pour le même but ?

    Khazan Gul : Malheureusement, les gens cultivés, qui osent le risque et travaillent avec des tribus, sont rares. Les tribus entre elles collaborent évidemment. Chaque tribu a ses lois à elle et sa propre Jirga (un moyen de former la volonté politique qui a fait ses preuves en Afghanistan). S’il faut prendre une décision importante ou s’il y a un danger extérieur, toutes les tribus se rencontrent dans la Loyal Jirga, une grande assemblée, et délibèrent ensemble. Mais des gens cultivés qui travaillent dans les régions des tribus sont rares. Les membres du gouvernement ont pour la plupart fait leurs études en Europe ou aux USA, ils y ont vécu ou y sont déjà nés. Beaucoup d’entre eux ont deux nationalités. Ils ne comprennent pas beaucoup de l’Afghanistan. Ils restent à Kaboul et sont souvent plus peureux que les étrangers. Ils n’osent pas sortir de Kaboul pour aller à la campagne.

    Ce serait naturellement aussi une partie de ma solution, qu’à Kaboul nous ayons un gouvernement qui ne règne pas par envie de l’argent et de la belle vie, mais qui voit son devoir dans le développement de l’Afghanistan et qui serait prêt à collaborer avec la population rurale. Un tel gouvernement serait une solution pour l’Afghanistan.

    Horizons et débats : Est-ce que nous avons bien compris: la plupart des organisations humanitaires ne sont actives qu’à Kaboul ?

    Khazan Gul : Oui, l’argent est destiné à l’aide au développement pour le peuple, mais il reste à Kaboul. Quand une organisation a du courage, elle envoie peut-être des représentants dans les villes des provinces. Mais ils ne vont pas à la campagne pour travailler. Ainsi, l’écart entre la ville et la campagne s’agrandit de plus en plus. Et en plus, les étrangers qui vivent à Kaboul veulent de belles maisons avec des toilettes comme en Europe, autrement ils ne peuvent pas y vivre. Le gouvernement, les étrangers et les organisations humanitaires vivent à Kaboul, pour nous, c’est trop cher. Ils ne produisent rien et vivent au frais des Afghans. Le gouvernement existe grâce à l’aide étrangère et ne réfléchit même pas sur le fait que l’Afghanistan pourrait devenir autonome un jour. Même leurs salaires sont financés de l’étranger.

    Horizons et débats : Le ravitaillement de l’Afghanistan est actuellement dépendant de l’étranger. Au pays même, on produit peu, la plupart des aliments sont importés. Qu’en est-il de la production de biens industriels ? On produit quelque chose ?

    Khazan Gul : Rien du tout. Actuellement, on a commencé à conserver quelques légumes et fruits. C’est très bien. L’agriculture a été détruite parce que le gouvernement a acheté des céré­ales aux USA ou au Pakistan et les a distribuées à la population. Les paysans indigènes ne gagnent plus rien, le prix est trop bas. Beaucoup de paysans ne travaillent plus dans l’agriculture. Les salaires des ONG, des organisations humanitaires étrangères ou de l’armée américaine sont tellement élevés qu’ils ne veulent plus être paysans ou instituteurs. Nous n’avons par exemple dans nos écoles plus d’enseignants d’anglais. Ils préfèrent travailler comme gardien, jardinier ou traducteur. Là, ils gagnent cinq fois de plus. Les paysans travaillent pour des sociétés étrangères ou pour l’armée. C’est pourquoi le projet d’agriculture est aussi du travail pour la paix. Si les gens ont assez à manger ils ne devi­ennent plus soldats. Par conséquent, les Américains ne peuvent plus recruter des soldats en Afghanistan. Aujourd’hui, ils nous achètent parce que nous n’avons rien à manger.

    Horizons et débats : Si les paysans, la population rurale ne vivent plus de l’autosubsistance, de quoi vivent ils alors ?

    Khazan Gul : Des militaires, de l’aide étrangère qui est distribuée ou du commerce. Les pays voisins exportent leurs marchandises en Afghanistan. Le Pakistan vend ses marchandises ici à Khost. Sans aide étrangère il n’y a pas de commerce, par manque d’argent. Sans aide étrangère nous ne pouvons momentanément pas survivre du tout. Et tant que nous dépendons de l’aide étrangère, notre pays n’est pas libre.

    Horizons et débats : Le pays devrait donc produire lui-même des aliments et de la marchandise?

    Khazan Gul : Oui. Si nous avons un bon gouvernement nous pouvons, dans un an, employer tous les Afghans. Nous avons assez de terres en friche qui appartiennent au gouvernement. Nous pouvons les distribuer aux paysans qui ont grande envie d’avoir de la propriété privée. Nous pouvons donner à chacun deux à trois hectares de terrain. C’est ainsi que le gouvernement en profiterait également, car dans notre Islam existe la loi qu’un dixième doit être payé au gouvernement. Si chaque paysan paye la dîme, notre gouvernement sera riche, alors nous n’aurons plus besoin d’aide étrangère. Le gouvernement peut tout faire avec cette dîme et faire travailler le peuple. Si quelqu’un a du travail, il ne pense plus à la guerre. Alors nous n’aurons plus de guerre mais la sécurité.

    Le problème est qu’en Afghanistan on n’ose pas dire que nous avons un mauvais gouvernement. Celui qui critique le gouvernement, est contre les USA, contre l’Europe. Alors tu es pris pour un Taliban ou un membre d’al-Qaida. Tu peux être arrêté et peut-être déporté à Guantanamo. C’est une terrible situation en Afghanistan. Il faut subir, subir, subir. Cela ne va pas. Beaucoup sont malades à cause de cette pression. Cette pression est intérieure. On sait ce qui ne va pas, mais on n’ose rien dire. C’est affreux.

    Horizons et débats : Vous avez passé quelque temps en Suisse – comment votre séjour s’est-il passé ?

    Khazan Gul : J’ai fait des visites dans beaucoup d’écoles, et j’ai donné plus de 53 conférences, parfois j’ai même visité deux ou trois écoles par jour. J’étais tout le temps en route avec mes amis suisses. J’ai tout raconté de mes projets et mes problèmes en Afghanistan et j’ai trouvé beaucoup d’amis.

    A chaque conférence j’ai dit aux élèves que j’avais beaucoup d’amis de par le monde que je ne connaissais pas encore. Je les cherche et je suis ici pour les connaître. Les hommes et les femmes qui veulent un monde sans guerres, ce sont tous mes amis. Et j’ai demandé à la fin : Est-ce que vous voulez également un monde sans guerre? Ils ont répondu: Oui, naturellement, nous voulons un monde sans guerre ! Je leur ai dit : Dans ce cas-là nous sommes amis !

    Mais un monde sans guerre demande du travail. Il ne faut pas dormir et rêver à la maison d’un monde sans guerre. Pour cela nous devons travailler et forcer les gens qui font la guerre à arrêter les guerres. Tous ont promis de faire quelque chose contre la guerre. Je me sens plein de succès et je suis très heureux d’avoir trouvé ici autant d’amis et je continuerai tant que je suis en vie.

    Horizons et débats : Nous vous remercions de nous avoir accordé du temps avant votre départ.