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POUR LA PAIX ET LE CHANGEMENT DU MONDE - Page 27

  • DEFI A LA PUDEUR DE GERARD BONNET

    Gérard Bonnet, psychanalyste et auteur du livre «Défi à la pudeur : quand la pornographie devient l’initiation sexuelle des jeunes »

    Interview

    Source : http://www.prostitutionetsociete.fr

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    "Au moment où se développe un mouvement de libération des femmes, on assiste à une vengeance des hommes face aux exigences et aux revendications féminines..."

    La pornographie touche de plus en plus les enfants et les adolescents. Pour Gérard Bonnet, psychanalyste et auteur du livre «Défi à la pudeur : quand la pornographie devient l’initiation sexuelle des jeunes », il est urgent de réagir et de réfléchir à notre responsabilité collective ; et de réhabiliter le sexe féminin face à un repli généralisé sur le phallus tout-puissant.

    Quelles conséquences a la pornographie pour les enfants et adolescents à qui elle sert désormais d’initiation sexuelle ?

    L’exhibitionnisme pornographique dans lequel nous vivons, et dont la publicité est devenue le fer de lance, a des conséquences graves et sous-estimées. On voit apparaître un comportement où la fille est pour les garçons un objet à consommer, où elle est utilisée pour les partouzes, les plaisirs immédiats, les viols collectifs. La pornographie court-circuite un temps essentiel de la petite et de la moyenne enfance. L’enfant accède à des formes de plaisir, plaisirs de la bouche, plaisir anal, tout ce que nous appelons les plaisirs pulsionnels, qui sont de l’ordre des satisfactions sensitives, mais il ne peut pas encore accéder au sexe génital. Il imagine ce que font les adultes, il se construit, mais sa sexualité génitale est purement fantasmatique. Cette période est d’une importance capitale.

    C’est elle qui lui permet, lorsqu’il accède à la génitalité vers 13/14 ans, de disposer d’un matelas d’imaginaire qui permet la rencontre et la rend plus souple, plus amoureuse ; le corps n’arrivera que comme un aboutissement.

    Une véritable censure pèse pourtant sur la pornographie, dont on peut à peine débattre sous peine de passer pour un tenant de l’ordre moral…

    J’ai été frappé, moi qui ai écrit pas mal de livres, de voir des libraires mal à l’aise pour exposer celui-ci. Il n’est pas dans le courant. Je suis pourtant très bien reçu par mes collègues ; face à la pornographie, un mouvement se dessine tout de même ; il ya trop de dysfonctionnements, trop de malheurs qui en résultent. Mais il faut aller contre la facilité et contre les puissances d’argent. J’étais bien placé, moi qui passais plutôt pour quelqu’un qui excusait les pervers…

    En tant qu’analyste, quand un pervers vient me voir, je ne lui dis pas "vous êtes un salaud". Mais aujourd’hui, ce ne sont plus les pervers et les exhibitionnistes qui ont besoin qu’on les défende ; ils ont pignon sur rue. Ce qui était un drame pour eux est devenu un drame pour leurs victimes. Et il s’agit, au-delà de victimes individuelles, d’une victime collective qui est l’enfance et l’adolescence ; c’est l’embrigadement des forces vives de notre société.

    Embrigadement, et même asservissement, dites-vous dans votre livre…

    Il s’agit d’un phénomène de génération. Les gens de 68 ont dit s’être libérés sexuellement. Résultat, ils sont paumés, en pleine déroute de repères. Leur désarroi, leur angoisse, ils l’imposent aux enfants en leur infligeant leur sexualité à l’état brut ; en plaquant sur eux leur problème non résolu. Les enfants ne sont pas préparés, ils n’en ont pas envie, mais naturellement ils sont attirés par le sexe. Ils ne se rendent pas compte qu’ils se laissent asservir. Et comme ils semblent consentants, on ne voit pas où est le problème.

    C’est ce que disent les pédophiles : il avait l’air content, il était d’accord. L’enfant est embrigadé, il croit l’adulte tout-puissant. Après coup seulement, il se rend compte qu’il a été floué. C’est d’autant plus difficile pour lui que, face à un vrai pervers, on peut dire que c’est un salaud ; face à la pornographie, on ne peut pas se défendre.

    Alors que la pornographie affiche tous les dehors de la "modernité" et de la "libération", vous parlez d’un "retour en arrière effréné".

    Il s’agit en effet d’un retour en arrière. Et d’un carcan qui ne vaut guère mieux que celui des interdits qui l’a précédé. Du fait de la mondialisation, les individus angoissés se replient sur le sexe, la seule chose dont ils soient encore sûrs. Et les hommes, sur leur phallus ; là, je peux jouir, je peux m’imposer et avoir pouvoir sur l’autre. C’est une régression. On se replie sur des valeurs matérielles, on croit être heureux parce qu’on peut jouir de tout.

    Or, la jouissance matérielle, on le voit avec la drogue, entraîne l’asservissement. Dépendre d’un objet pour trouver son plaisir, c’est tomber dans l’addiction. L’addiction, y compris en matière de sexe, entraîne une dépendance et peu à peu une régression vers les comportements les plus élémentaires. La libération serait de trouver plus de richesse, de vie, d’humanité dans le sexe. Or, on le déshumanise complètement.

    Selon vous, notre civilisation de l’image met en péril l’égalité des sexes ?

    Les organes sexuels masculins sont dans l’évidence, dans l’exhibition. Le voir favorise la sexualité masculine. Dans la période cruciale où les petites filles se rendent compte de leur anatomie, elles sont mal à l’aise parce qu’elles cherchent ce qu’elles ne voient pas. Il faut les faire évoluer pour qu’elles sachent que ce qu’elles n’ont pas en extériorité, elles l’ont en intériorité et même qu’elles ont là une richesse que l’homme n’a pas.

    Cette difficulté rejoint les erreurs de l’éducation sexuelle à l’école, restée au niveau des schémas organiques, et qui fait croire aux filles qu’elles n’ont rien. La domination de l’image et du voir est incontestablement une domination machiste. Au moment où se développe un mouvement de libération des femmes, on assiste à une vengeance des hommes face aux exigences et aux revendications féminines ; c’est une façon de dire vous pouvez toujours courir, c’est nous qui avons l’argent, le pouvoir, le phallus.

    Quels liens faites-vous entre pornographie et prostitution ?

    Étymologiquement, le mot a la même racine. Les deux procèdent du même circuit, de la même mentalité. La pornographie, c’est acheter un corps de femme par image interposée et le consommer ensemble. Elle se fonde sur des scénarios machistes et entretient une image de la sexualité de type prostitutionnel. L’homme consomme de la femme. Ce n’est pas une rencontre, pas un échange, mais un homme qui possède une femme et se permet tout. Et quand la femme change de statut, par exemple dans le scénario sado-masochiste, c’est la même chose que dans la prostitution. Il y a un très grand parallélisme à faire et lutter contre l’un ne sert à rien si l’on ne lutte pas contre l’autre. Le climat pornographique actuel encourage clairement le recours à la prostitution.

    Vous proposez de remettre le sexe féminin au centre de la problématique.

    Rien de moins que la révolution… L’art est capable de dire la beauté du sexe féminin. Face à l’art phallique, écrasant, il faut privilégier un art qui met la femme au centre de la perspective. Pas forcément son sexe au sens réel, mais sa féminité, son intériorité. Les plus grands peintres l’ont fait. Il ya une éducation possible. On peut aider les jeunes à entretenir leur sens critique, leur sens de la dérision, leur mépris pour la dévalorisation du sexe. Eduquer leur goût esthétique serait aussi fondamental que l’éducation sexuelle. Toutefois, c’est plus facile à l’échelle d’une famille qu’à l’échelle d’une société. Beaucoup de jeunes s’en sortent grâce au climat humain et familial qui les entoure. Il ne faut pas être pessimiste. Mais dénoncer, parler. On est du côté de l’humain, on ne défend pas une morale, mais notre humanité, des siècles de culture, de recherche pour ne pas être esclave de la matérialité du sexe.

    Pour justifier la prostitution, on invoque toujours un "besoin sexuel" irrépressible des hommes. Qu’en pensez-vous ?

    Quand un homme a ce matelas d’imaginaire dont je parlais, il pourra vivre des frustrations, réinvestir ce monde-là. L’idée que les hommes auraient un besoin sexuel irrépressible, une pulsion non maîtrisable, est parfaitement fausse. La sexualité est d’autant plus riche qu’on a su se contenir et l’investir au niveau imaginaire. Et trouver comment avoir du plaisir sans transformer l’autre à l’état d’objet.

  • KHAZAN GUL : "TOUS LES HOMMES ET FEMMES QUI VEULENT UN MONDE SANS GUERRE SONT MES AMIS"

    Interview d’Horizons et débats avec Khazan Gul

    Khazan Gul a étudié la physique et les mathématiques à la Haute école pédagogique de Francfort. En 1973, il est rentré en Afghanistan, dans son pays dans la région de Khost. Depuis il s’engage pour le développement de l’instruction publique dans son pays et pour l’encouragement de l’autosubsistance qu’il pense être les premières conditions pour un Afghanistan libre et autonome.

    Horizons et débats : Avec nos lecteurs, nous nous intéressons à la situation actuelle en Afghanistan, pourriez-vous nous dire quelque chose à ce sujet ?

    Khazan Gul : En Afghanistan règne la guerre. La guerre, naturellement, est toujours liée à la peur. Le peuple vit perpétuellement dans la peur. Chaque jour les gens craignent que ce soit peut-être aujourd’hui que les Talibans ou les Américains viennent, car les deux sont très cruels avec le peuple.

    Si ce sont les Talibans qui viennent, ils forcent le village à mener une «Guerre Sainte» contre les Américains. Ce sont eux, les occupants, les infidèles qui détruisent notre pays et notre culture. Le peuple ne peut pas se défendre. Les autres sont forts et armées.

    Alors les gens disent, oui, d’accord, ce sont des infidèles et vous, vous êtes nos frères, vous êtes des musulmans, nous voulons bien vous aider, des amis – mais nos enfants, nos femmes, voici les dangers. Les Américains nous mettent en prison et nous bombardent, nous n’en voulons pas. Les Talibans cherchent les gens qui ont rasé leur barbe et qui n’ont pas fait leur prière comme il faut. Quand ils supposent que quelqu’un est un mauvais musulman, ils l’emmènent et le punissent.
    Et puis, il y a les espions américains. Ils rapportent aux Américains : Ce soir, beaucoup de Talibans sont venus, ce village collabore avec les Talibans. Les Américains ont naturellement peur des Talibans et bombardent ce village.
    Beaucoup de gens innocents sont par conséquent tués, et à la radio ils déclarent avoir tués tant et tant de Talibans, mais ce sont des civils, les Talibans ont quitté le village avant.

    Mais le pire est que le gouvernement compte les morts et les blessés et paye 200 dollars par mort et 100 dollars par blessé. Ceci est évidement barbare. Un Afghan mort coûte 200 dollars. Et nous savons que les USA ont demandé aux Libyens 2 millions de dollars de dédommagement par Américain mort. Karzai, lui-aussi, a déjà plusieurs fois critiqué ce fait, il a pleuré puisque également les Américains et les forces étrangères nous tuent. Nous ne pouvons rien faire, les Talibans aussi nous tuent. C’est très triste. Le peuple entier vit dans une peur permanente. Telle est la situation actuelle en Afghanistan.

    Horizons et débats : Quelles sont les possibilités pour la population de venir à bout de cette situation ? Ils y vivent, il faut vivre, comment vous débrouillez-vous ?

    Khazan Gul : Je vis aussi dans la peur comme le peuple. Nous étions heureux lorsque les Talibans sont partis, et nous pensions que les Américains étaient nos amis. Et puis, ils ont commencé à perquisitionner nos maisons et à nous bombarder sans raison. Et maintenant les Américains se font beaucoup d’ennemis tandis que les Talibans gagnent des amis. Si cela continue ainsi, c’est très grave. Nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve. Le peuple est désespéré. La situation s’empire de plus en plus.

    La politique actuelle en Europe et en Amérique doit changer. C’est le peuple qui doit le faire. Le peuple européen et le peuple américain peuvent forcer leurs gouvernements à changer de politique. En Afghanistan, il faut un gouvernement digne de confiance, qui peut gouverner de manière autonome et qui peut se défendre contre des voisins étrangers, c’est dans de telles conditions que nous pouvons avoir un Afghanistan calme, c’est-à-dire les étrangers, les Européens et les Américains doivent nous aider. Actuellement, ce sont les Afghans qui aident les étrangers et non pas vice versa. Nous voulons travailler nous-mêmes dans notre pays, les autres doivent nous aider. Nous ne voulons pas que dans notre pays quelqu’un d’autre gouverne et que nous l’aidions. Je crois que le problème est, que les étrangers travaillent de façon autonome, sans rien demander au gouvernement afghan. Ils circulent en avions et en hélicop­tères, fouillent des maisons et arrêtent les gens, sans que notre propre gouvernement afghan le sache. Je veux dire ceci : aucun Afghan ne veut d’un cœur étranger.

    Horizons et débats : Vous avez mentionné Karzai, quel rôle joue le gouvernement Karzai ?

    Khazan Gul : Ils ne font que ce que leur disent les étrangers. Moi, je les considère comme employés des étrangers.

    Horizons et débats : Le gouvernement ne peut pas poursuivre une politique autonome ?

    Khazan Gul : C’est impossible. S’il y a des forces étran­gères, des forces militaires très puissantes, qui circulent dans le pays sans rien demander au gouvernement, celui-ci ne peut pas poursuivre une politique autonome.

    Horizons et débats : Vous travaillez dans divers projets en Afghanistan et vous essayez d’améliorer la situation des gens là-bas. Pouvez-vous expliquer vos activités à nos lecteurs ?

    Khazan Gul : Je veux bien. Beaucoup de personnes travaillent en Afghanistan, mais convaincues de ne pas pouvoir réussir dans un pays occupé par des forces étrangères, ils se résignent. Je crois qu’il ne faut pas attendre. Surtout dans l’enseignement et l’instruction publique, il ne faut pas attendre parce que c’est comme une vie, quand une journée est passée, elle est passée, elle ne reviendra pas. Je trouve très important que les gens dans chaque situation, aussi difficile qu’elle soit, continuent de travailler, même sous les conditions actuelles.

    Pour moi, le développement de l’agriculture et de l’enseignement est la première condition pour la liberté et l’autonomie de l’Afghanistan. Pour moi, en tant qu’enseignant, l’éducation et la formation sont très importantes. Je travaille maintenant dans des régions que le gouvernement et d’autres évitent. J’ai travaillé là-bas déjà pendant la guerre contre l’Union soviétique. Les gens me connaissent et me comprennent. Je fais construire des écoles et je m’engage pour la progression de l’agriculture. C’est ainsi que j’ai beaucoup de succès. En Europe, je reçois de l’aide de mes amis et de différentes organisations. C’est ce que j’amène en Afghanistan dans ces régions pour construire de beaux bâtiments et pour la formation des enseignants.

    Quand j’étais responsable de l’instruction publique à Khost, j’ai fondé 52 nou­velles écoles dans les montagnes et engagé des enseignants. Ce ne sont pas d’enseignants de formation, mais des gens qui savent lire et écrire, peut-être qu’ils ont fréquenté une école pendant trois ans ou ils ont appris dans une école coranique.

    Il n’y a pas de bâtiments non plus. Les élèves apprennent dehors, sous des arbres. Je veux construire des bâtiments pour ces 52 écoles et former les enseignants. Chaque école reçoit un bon instituteur bien instruit. L’après-midi, celui-ci enseigne tous les autres instituteurs, 10 ou 20, avec les mêmes manuels que ces derniers utiliseront le matin pour enseigner les enfants. Cela fonctionne très bien. Les enseignants ont besoin d’une formation continue car les enfants posent des questions qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes. Ils sont obligés de lire les manuels avec les enfants pour voir ce qu’ils ont compris et l’après-midi ils peuvent poser des questions. Ainsi, on peut éliminer les difficultés des enseignants.

    En outre, j’essaye de procurer de l’argent pour la construction d’écoles. Jusqu’à présent, j’ai construit 5 écoles, payées par différentes écoles en Europe. C’est ce que je vais continuer. J’ai trouvé beaucoup d’amis ici en Suisse: Ils veulent financer une école d’agriculture, une école très importante. J’ai reçu de l’argent et quand je serai de retour, je commencerai la construction de cette école. Plus tard, j’engagerai des enseignants et je chercherai des paysans qui veulent suivre une formation. Ils apprendront à construire des systèmes d’irrigation, à cultiver les céréales et les légumes, à faire de meilleures récoltes ou à traiter des maladies simples des animaux et des plantes. Pour cela, il est nécessaire qu’ils apprennent à lire et à écrire, ils seront alphabétisés en même temps. Ainsi, on forme des paysans cultivés qui seront plus tard capables d’enseigner d’autres paysans.

    Horizons et débats : Combien de personnes vivent dans la région où vous travaillez ?

    Khazan Gul : C’est une tribu, les Tani. J’ai enregistré 3000 familles. Mais ces familles, ce n’est pas comme ici, ce sont de grandes familles, 10 à 30 personnes par famille. Je veux faire développer tous les domaines dans cette région. A mon avis, le fait que le fossé entre la ville et la campagne s’agrandisse de plus en plus, cause des guerres.

    Les étrangers vivent et travaillent dans les villes. C’est là où les biens de première nécessité arrivent. Les villes se développent et la campagne reste ce qu’elle est. La majorité de la population vit à la campagne, plus de 80%. Ils n’ont pas de moyens de transport, pas de routes, pas de soins médicaux, pas de cliniques, pas d’eau potable et les maisons sont primitives. Si les villes continuent de croître et que la campagne reste en arrière, cela engendra la haine et l’envie. Les gens ne se comprennent plus. Dans les villes c’est une autre culture qui se développe, une culture européenne.

    Je veux que l’Afghanistan se développe de façon homogène. C’est pourquoi j’essaye de développer cette tribu de montagne, les Tani, en quelque sorte comme exemple pour d’autres régions. Les gens dans d’autres régions peuvent faire de même s’ils veulent. Je travaille dans le territoire de cette tribu – de ma tribu parce que j’y appartiens – pour éviter de futures conflits armés et des guerres civiles.

    Horizons et débats : Existe-t-il une coopération suprarégionale avec d’autres tribus dans d’autres régions qui travaillent pour le même but ?

    Khazan Gul : Malheureusement, les gens cultivés, qui osent le risque et travaillent avec des tribus, sont rares. Les tribus entre elles collaborent évidemment. Chaque tribu a ses lois à elle et sa propre Jirga (un moyen de former la volonté politique qui a fait ses preuves en Afghanistan). S’il faut prendre une décision importante ou s’il y a un danger extérieur, toutes les tribus se rencontrent dans la Loyal Jirga, une grande assemblée, et délibèrent ensemble. Mais des gens cultivés qui travaillent dans les régions des tribus sont rares. Les membres du gouvernement ont pour la plupart fait leurs études en Europe ou aux USA, ils y ont vécu ou y sont déjà nés. Beaucoup d’entre eux ont deux nationalités. Ils ne comprennent pas beaucoup de l’Afghanistan. Ils restent à Kaboul et sont souvent plus peureux que les étrangers. Ils n’osent pas sortir de Kaboul pour aller à la campagne.

    Ce serait naturellement aussi une partie de ma solution, qu’à Kaboul nous ayons un gouvernement qui ne règne pas par envie de l’argent et de la belle vie, mais qui voit son devoir dans le développement de l’Afghanistan et qui serait prêt à collaborer avec la population rurale. Un tel gouvernement serait une solution pour l’Afghanistan.

    Horizons et débats : Est-ce que nous avons bien compris: la plupart des organisations humanitaires ne sont actives qu’à Kaboul ?

    Khazan Gul : Oui, l’argent est destiné à l’aide au développement pour le peuple, mais il reste à Kaboul. Quand une organisation a du courage, elle envoie peut-être des représentants dans les villes des provinces. Mais ils ne vont pas à la campagne pour travailler. Ainsi, l’écart entre la ville et la campagne s’agrandit de plus en plus. Et en plus, les étrangers qui vivent à Kaboul veulent de belles maisons avec des toilettes comme en Europe, autrement ils ne peuvent pas y vivre. Le gouvernement, les étrangers et les organisations humanitaires vivent à Kaboul, pour nous, c’est trop cher. Ils ne produisent rien et vivent au frais des Afghans. Le gouvernement existe grâce à l’aide étrangère et ne réfléchit même pas sur le fait que l’Afghanistan pourrait devenir autonome un jour. Même leurs salaires sont financés de l’étranger.

    Horizons et débats : Le ravitaillement de l’Afghanistan est actuellement dépendant de l’étranger. Au pays même, on produit peu, la plupart des aliments sont importés. Qu’en est-il de la production de biens industriels ? On produit quelque chose ?

    Khazan Gul : Rien du tout. Actuellement, on a commencé à conserver quelques légumes et fruits. C’est très bien. L’agriculture a été détruite parce que le gouvernement a acheté des céré­ales aux USA ou au Pakistan et les a distribuées à la population. Les paysans indigènes ne gagnent plus rien, le prix est trop bas. Beaucoup de paysans ne travaillent plus dans l’agriculture. Les salaires des ONG, des organisations humanitaires étrangères ou de l’armée américaine sont tellement élevés qu’ils ne veulent plus être paysans ou instituteurs. Nous n’avons par exemple dans nos écoles plus d’enseignants d’anglais. Ils préfèrent travailler comme gardien, jardinier ou traducteur. Là, ils gagnent cinq fois de plus. Les paysans travaillent pour des sociétés étrangères ou pour l’armée. C’est pourquoi le projet d’agriculture est aussi du travail pour la paix. Si les gens ont assez à manger ils ne devi­ennent plus soldats. Par conséquent, les Américains ne peuvent plus recruter des soldats en Afghanistan. Aujourd’hui, ils nous achètent parce que nous n’avons rien à manger.

    Horizons et débats : Si les paysans, la population rurale ne vivent plus de l’autosubsistance, de quoi vivent ils alors ?

    Khazan Gul : Des militaires, de l’aide étrangère qui est distribuée ou du commerce. Les pays voisins exportent leurs marchandises en Afghanistan. Le Pakistan vend ses marchandises ici à Khost. Sans aide étrangère il n’y a pas de commerce, par manque d’argent. Sans aide étrangère nous ne pouvons momentanément pas survivre du tout. Et tant que nous dépendons de l’aide étrangère, notre pays n’est pas libre.

    Horizons et débats : Le pays devrait donc produire lui-même des aliments et de la marchandise?

    Khazan Gul : Oui. Si nous avons un bon gouvernement nous pouvons, dans un an, employer tous les Afghans. Nous avons assez de terres en friche qui appartiennent au gouvernement. Nous pouvons les distribuer aux paysans qui ont grande envie d’avoir de la propriété privée. Nous pouvons donner à chacun deux à trois hectares de terrain. C’est ainsi que le gouvernement en profiterait également, car dans notre Islam existe la loi qu’un dixième doit être payé au gouvernement. Si chaque paysan paye la dîme, notre gouvernement sera riche, alors nous n’aurons plus besoin d’aide étrangère. Le gouvernement peut tout faire avec cette dîme et faire travailler le peuple. Si quelqu’un a du travail, il ne pense plus à la guerre. Alors nous n’aurons plus de guerre mais la sécurité.

    Le problème est qu’en Afghanistan on n’ose pas dire que nous avons un mauvais gouvernement. Celui qui critique le gouvernement, est contre les USA, contre l’Europe. Alors tu es pris pour un Taliban ou un membre d’al-Qaida. Tu peux être arrêté et peut-être déporté à Guantanamo. C’est une terrible situation en Afghanistan. Il faut subir, subir, subir. Cela ne va pas. Beaucoup sont malades à cause de cette pression. Cette pression est intérieure. On sait ce qui ne va pas, mais on n’ose rien dire. C’est affreux.

    Horizons et débats : Vous avez passé quelque temps en Suisse – comment votre séjour s’est-il passé ?

    Khazan Gul : J’ai fait des visites dans beaucoup d’écoles, et j’ai donné plus de 53 conférences, parfois j’ai même visité deux ou trois écoles par jour. J’étais tout le temps en route avec mes amis suisses. J’ai tout raconté de mes projets et mes problèmes en Afghanistan et j’ai trouvé beaucoup d’amis.

    A chaque conférence j’ai dit aux élèves que j’avais beaucoup d’amis de par le monde que je ne connaissais pas encore. Je les cherche et je suis ici pour les connaître. Les hommes et les femmes qui veulent un monde sans guerres, ce sont tous mes amis. Et j’ai demandé à la fin : Est-ce que vous voulez également un monde sans guerre? Ils ont répondu: Oui, naturellement, nous voulons un monde sans guerre ! Je leur ai dit : Dans ce cas-là nous sommes amis !

    Mais un monde sans guerre demande du travail. Il ne faut pas dormir et rêver à la maison d’un monde sans guerre. Pour cela nous devons travailler et forcer les gens qui font la guerre à arrêter les guerres. Tous ont promis de faire quelque chose contre la guerre. Je me sens plein de succès et je suis très heureux d’avoir trouvé ici autant d’amis et je continuerai tant que je suis en vie.

    Horizons et débats : Nous vous remercions de nous avoir accordé du temps avant votre départ.